Interview de Edward Bizub à l’occasion de la sortie de son livre “Proust et le moi divisé”.

20 mai 2007
 Interview de Edward Bizub à l'occasion de la sortie de son livre “Proust et le moi divisé”.

Proust, ecrivain, livre

Q. Edward Bizub, vous venez de publier un nouveau livre sur Proust, “Proust et le moi divisé”. C’est votre deuxième étude sur ce grand écrivain français.

En effet. J’ai d’abord écrit “La Venise intérieure” qui traite du rôle de la traduction. On oublie parfois que Proust a passé sept ans de sa vie à traduire les oeuvres du grand historien d’Art anglais John Ruskin. Les traduire ... sans savoir l’anglais ! Cela semble incroyable, mais en fait sa mère l’a beaucoup aidé dans cette entreprise, et c’est donc aussi un livre sur son rapport avec elle.

Q. Et cette fois, vous vous occupez du père de Proust.

Là aussi, on ignore souvent que le père de Proust était psychothérapeute, pratiquait l’hypnose, et qu’il s’est occupé d’un cas de dédoublement de la personnalité. L’époque (la fin du XIXe siècle) était friande de grands spectacles où les médecins présentaient au public leurs cas d’hystériques et de personnalités dédoublées qui vivaient deux vies successivement. Cela a passionné Proust et a inspiré le personnage du narrateur dans “A la Recherche du temps perdu”.

Q. Ceux qui ont lu Proust se souviennent du fameux épisode de la petite madeleine qui, trempée dans du thé, fait tout à coup resurgir tout le passé de ce narrateur. Il y aurait donc un lien avec les théories et les expériences de la psychologie telle qu’elle était pratiquée à l’époque ?

Absolument. Par une réactivation des souvenirs sensoriels anciens, on reconstruisait un épisode clé de l’existence où “l’autre moi” - celui que l’on ne reconnaît plus - avait joué un rôle essentiel. Ce n’est donc pas simplement de la poésie mais une véritable expérience scientifique.

Q. Peut-on dire justement que vous avez essayé de réconcilier science et littérature ?

Ce n’est pas une tâche facile, car les proustiens n’aiment pas beaucoup que l’on analyse l’oeuvre littéraire sous le biais scientifique, craignant qu’on lui enlève justement sa part de poésie. Mais en fait, l’oeuvre de Proust ne perd en rien de sa magie car l’écrivain a su transposer ses connaissances psychlogiques dans le domaine littéraire. C’est là que se situe son génie.

Q. Le deuxième point fort du livre est l’analyse de la cure psychothérapeutique suivie par Proust, cure basée sur la régression de la personnalité à travers des méthodes de persuasion et d’hypnose.

Oui, il a vécu dans sa chair ce qu’il défend par écrit. Proust était malade et on a souvent pensé qu’il souhaitait surtout guérir son asthme. En fait, cette cure lui a permis avant tout de comprendre le mécanisme des traitements de son époque - qui annoncent déjà la psychanalyse - et de partir à la recherche de son “autre moi”, c’est-à-dire son moi écrivain.

Q. Je crois que vous êtes aussi un passionné de Beckett qui est votre deuxième spécialisation.
En effet. Je prépare un nouveau livre sur l’influence de Descartes sur Beckett, une rencontre inattendue qui réserve aussi des surprises.

Edward Bizub : "Proust et le moi divisé. La Recherche : creuset de la psychologie expérimentale (1874-1914), Droz, Genève, 2006.