Kofi Annan

2 January 2019

De janvier 1997 à décembre 2006, Kofi Annan fut le septième Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies. (Il a succédé à Boutros-Boutros Ghali) et le premier à sortir des rangs de l’ONU. Il fut aussi le seul à recevoir le prix Nobel de la paix, le 10 décembre 2001.

En 1993, Kofi Annan devient Secrétaire général adjoint des opérations de maintien de la paix. A cette époque, je couvre l’Onu pour Jeune Afrique et Afrique Magazine depuis début 1991. Peu après l’arrivée de Kofi au département des opérations de maintien de la paix, Afrique Magazine me demande de faire le portrait d’un africain qui a ‘un avenir’ au sein de l’organisation. Dans un premier temps, je choisis Kouyaté, qui est en charge des dossiers africains au cabinet du Secrétaire-général, à l’époque Boutros-Boutros Ghali.

Au sortir de l’interview, je sais déjà que je ne vais rien publier. L’homme, charmant au demeurant, pratique la langue de bois en virtuose.

Après avoir passé en revue les africains du « Secrétariat » mon choix se porte sur Kofi Annan, un Ghanéen qui, après avoir débuté à l’ONU au bas de l’échelle (P1) est passé par les ressources humaines avant d’intégrer les opérations de maintien de la paix. J’appelle Wagaie, son assistante, pour prendre rendez-vous. « Combien de temps vous faut-il » me dit-elle. « 1 heure. » Et devant sa surprise : » « Je vais jeter au panier la première demi-heure car il me débitera des banalités. Ensuite, il sera plus à l’aise et l’interview sera meilleure. »

Notre rencontre fut dans un premier temps glacial. Manifestement, passer une heure avec une journaliste ne l’intéresse pas vraiment. Pourtant, au fur et à mesure de l’entretien, il se détend et raconte sa jeunesse, sa famille, ses études aux Etats Unis, ses rêves, ses lectures. Lorsque je lui demande s’il a un proverbe qui guide sa vie, il dit, « oui, je crois que c’est un proverbe espagnol mais je n’en suis pas certain: ‘Pour le voyageur, il n’y a pas de routes. Les routes se font en marchant.’ Puis, alors que l’entretien prend fin, sans savoir pourquoi, je lui demande s’il pense que le temps est venu pour un africain noir, de devenir Secrétaire général de l’ONU. (Boutros-Boutros Ghali s’était fait nommer en tant qu’africain mais était…blanc. Il éclate de rire : « In my wildest dreams, NO. (Non, même dans mes rêves les plus fous !)

La parution de l’article lui avait particulièrement plu. Il me dira que personne ne l’avait aussi bien cerné. Cet article marquera le début d’une amitié qui ne s’est jamais démentie, y compris lorsqu’il sera nommé Secrétaire-général, fin 1996. C’est d’ailleurs à Jeune Afrique qu’il accordera sa toute première interview. Fidèle à la promesse qu’il m’avait faite. Par la suite, il ouvrira toujours sa porte pour répondre à mes questions.

Entre 1997 et 2006, date de la fin de son mandat, couvrir l’ONU est passionnant. En homme de paix, il est toujours à la recherche d’une solution. En 1998, lorsqu’il se rend à Bagdad, contre l’avis des américains afin de persuader Saddam Hussein de laisser les inspecteurs de la Commission Spéciale des Nations Unies (UNSCOM) vérifier les sites soupçonnés de cacher des armes de destruction massive, il parvient à faire taire le bruit des bottes des Etats Unis lancés sur le chemin de la guerre. Ce succès diplomatique lui vaut d’être fêté en héros par les membres du personnel de l’ONU qui l’accueillent nombreux, par des applaudissements et des clameurs de joie, lorsqu’il revient au Secrétariat. Un moment jubilatoire.

En 2003, après moult tergiversations, il défie Washington en déclarant que la guerre en Irak est illégale, ce qui lui vaut les foudres de l’administration Bush qui déclenche une véritable vendetta à son encontre. Il est alors plus ou moins mis sous tutelle par les américains qui le forcent à se séparer de ses plus proches collaborateurs. Le scandale du programme “pétrole contre nourriture” qui révèle l’existence de réseaux internationaux de corruption impliquant des proches, dont son fils, achève de le déstabiliser. C’est une période noire pour lui : “Le plus mauvais moment a été la guerre en Irak qu’en tant qu’organisation, nous n’avons pas pu empêcher, et j’ai pourtant fait tout ce que j’ai pu pour cela, » dira-t-il plus tard.

Kofi a de tout temps privilégié les solutions pacifiques, même après la mort de son meilleur ami, son frère, Sergio Vieira de Mello, en août 2003 à Bagdad dans un attentat. Je me souviens être montée le voir dans son bureau du 38e peu de temps après la mort de Sergio. Il était prostré. Je lui ai montré une lettre que Sergio m’avait envoyée peu de temps avant sa mort –j’avais rencontré Sergio au Cambodge où je participais à la mission de l’ONU, et nous étions devenus amis.- Il l’a prise, l’as lue, puis me l’a rendue sans un mot. Il était ailleurs, écrasé par le poids de ce qu’il pensait être de sa responsabilité.

Je montais souvent voir Kofi Annan. Notamment à chacun de mes retours de missions -que j’alternais avec le journalisme. Je lui racontais ce que j’avais vu, ce que j’avais fait. Je lui disais ce qu’il se passait vraiment sur les missions. Il aimait cela car disait-il : « cela me change des rapports que je reçois car je sais que tu me dis la vérité. »
Kofi était un homme de paix, un internationaliste. Il pensait que le monde est un endroit où la paix, le développement et les droits humains sont essentiels. Sa mort laisse un vide abyssal. Sa sagesse africaine, sa façon bienveillante et lucide de voir le monde et en particulier l’Afrique (il est celui qui a eu le courage de dire aux africains que le problème de l’Afrique, c’est sa mauvaise gouvernance.) son action pour la paix, tout cela va me manquer infiniment.
Kofi Annan avait redonné ses lettres de noblesse à une organisation trop souvent vilipendée pour son inaction. Il avait dit à sa plus fidèle collaboratrice qu’il voulait mourir à 80 ans, dans son lit, entouré de sa famille. Son vœu a été exaucé, pour le plus grand regret de beaucoup d’entre nous de par le monde.

Célhia de Lavarène