Une Biennale d’art contemporain, en plein désert
Loin des « Mecques » occidentales confirmées de l’art contemporain, de nouveaux lieux artistiques fleurissent, d’où émergent les « artistes globaux », issus de pays moins connus du monde de l’Art.
6 mars 2024 Effy T.
« Après la pluie », c’est le titre subliminal de la Biennale d’Art contemporain 2024 de Diriyah, la capitale historique de l’Arabie saoudite, surnommé la Cité de terre
Cette image symboliserait, au sens propre et figuré, les nouveaux commencements qu’expérimente cette contrée du Golfe : renouveau économique (ne plus compter que sur les ressources pétrolifères), renouveau sociétal (nouveaux droits pour les femmes, loisirs permis comme cinémas, concerts de musique et manifestations sportives…) et renouveau culturel tous azimuts, pour la population comme pour l’extérieur, via le tourisme désormais autorisé, en attendant aussi celui de plus de liberté sociale et politique.
Cette deuxième édition de la biennale (après « Feeling the Stones »), sous la direction de la célèbre curatrice et universitaire allemande Ute Meta Bauer, entourée d‘une équipe multiculturelle de jeunes commissaires, en est le porte-drapeau le plus flamboyant. L’ambition de ce petrichor, parfum de la terre après la pluie, est de sublimer les questionnements, historiques archéologiques, architecturaux et écologiques de notre monde contemporain par les pratiques artistiques, pour donner ainsi à l’art un rôle moteur dans l’éveil des consciences. Près de 13 000 mètres carrés, six grands halls agrémentés des terrasses et courettes, caractéristiques de l’habitat traditionnel propices à la discussion, 177 artistes venus de 40 pays, dont beaucoup d’Asie, d’Afrique et du monde arabe, tout a été prévu pour en faire un évènement polymorphe, où s’entremêlent différentes écritures et formats artistiques comme dessins, peintures, sculptures, marionnettes, installations en 3D , photographies et films, auxquelles s’ajoutent jardins avec plantes médicinales, ateliers, performances sonores et audiovisuelles et spectacles vivants.
Cette multisensorialité qui inonde toute l’exposition, faite de couleurs, de matériaux divers (de terres, de tissus, de feuilles de palmier jusqu’aux bouts de métal de cannettes), de parfums (nous sommes au cœur de la mythique Arabie ! ) confère un charme particulier à cet évènement, loin des installations compassées et froides des biennales plus classiques. Les œuvres, réparties sur six grands thèmes (Histoire et histoires, Recherche et recherches, Environnements et Ecologies, Héritages modernes et Géopolitiques, Eau et Habitats, Intelligence matérielle et spirituelle, Temps et Espace, Fondamentaux et Communs) illustrent les problématiques contemporaines de l’accès à l’eau, à la nourriture et au logement.dans un narratif fidèle à la tradition arabe du récit et de la poésie. Ute Meta Bauer justifie en une formule choc, ce qui pourrait apparaître comme un fourre-tout hérétique par rapport au classique monde de l’Art : « Une Biennale est toujours une provocation », en soulignant l’émergence d’une identité « glocale », globale et locale à la fois de ces jeunes artistes, revenus dans leur région d’origine, après un séjour formateur en Occident.
Cette Biennale, tout en ayant l’ambition de devenir un espace public populaire, pour des promenades en famille ou entre amis, fait partie de la stratégie de soft power culturel du royaume, dans la perspective de Vision 2030, avec l’ouverture de plus de 200 musées et l’organisation de 400 évènements culturels, avec en arrière-plan, une sourde bataille d’influence culturelle de différents pays occidentaux dont la France. En symbiose avec le tourisme, nouveau carburant de l’Arabie saoudite initié par la mise en valeur de la cité de la civilisation préislamique d’Al-Lula (une première au pays pilier de l’Islam) ou la création de la ville futuriste Neom, tout indique que les cartes se redistribuent aussi bien géopolitiquement que culturellement, dans la perspective d’un monde multipolaire où l’Arabie Saoudite entend bien jouer un rôle moteur.
