De la gifle à la ritaline : aveux d’impuissance et crimes d’incompétence
Le principe des châtiments corporels en tant que moyens éducatifs ne sera contesté que vers la fin du XVIIIe siècle, avec l’apparition d’une nouvelle vision de l’enfant qui sera considéré désormais comme une vraie personne en devenir, porteur d’une humanité et d’une sensibilité réelle et en tant que tel, un sujet digne de respect. Dès lors, l’éducation aura pour objectif de lui permettre de réaliser ses potentialités, par opposition aux moyens coercitifs et de dressage qui étaient le lot des enfants des époques antérieurs.
Le renoncement aux punitions corporelles semblait un acquis et une évidence pendant les dernières décennies du XXe siècle dans les pays démocratiques et nous en étions fiers et satisfaits, considérant que cela a été le signe que l’école et la société qu’elle représente ont atteint un niveau supérieur de civilisation.
Depuis quelques années des enseignants démunis face à des enfants turbulents demandent aux parents de mettre leurs enfants sous ritaline. Ce phénomène prend de l’ampleur, les cas d’enfants traités à la ritaline se multiplient et les pressions sur les familles se font de plus en plus importantes.
Depuis les années 1960 la ritaline est utilisée pour soigner le déficit d’attention et l’hyperactivité chez l’adulte et l’enfant.
Lorsque l’hyperactivité est le symptôme d’un problème interne biologique, l’effet du médicament est positif, mais les comportements des enfants considérés hyperactifs sont souvent des réactions à des problèmes extérieurs, familiaux, scolaires ou sociaux, et dans ce cas le médicament est fortement contre-indiqué.
En imposant l’administration de la ritaline à des enfants considérés ingérables sur la base d’appréciations subjectives d’enseignants variablement compétents, l’école impose des camisoles de force chimiques à des enfants dont le comportement ne rentre pas dans le cadre des schémas prévus.
Que diriez-vous si un chef d’orchestre médiocre vous invitait à vous faire introduire des implants auditifs pour que vous ne soyez pas gêné par sa production ?
Ou si des voisins déchaînés vous proposaient de vous mettre sous antidépresseur pour que vous puissiez supporter leur vacarme permanent ?
A force de normalisations successives, souvent au nom de principes d’équité et de recherche du bien commun, nous nous sommes engagés sur le chemin d’une robotisation générale et progressive où les individus n’ont pas à qui s’adresser pour avoir du soutien, des conseils ou même des simples informations et en même temps sont confrontés à des exigences de plus en plus sévères et de plus en plus standardisées aux sein des institutions scolaires.
Symptôme d’une société aux exigences rigides qui ne tolère pas des écarts des standards de comportement qu’elle décrète, l’inaptitude à s’adapter aux besoins des cas particuliers devient la norme et la médicalisation de toutes les manifestations de la vie remplace les solutions souples et individualisées.
Renoncer à la gifle, aux menaces physiques et punitions corporelles était le résultat d’une évolution qui nous a amenée à reconnaître dans l’enfant un être complet et sensible, digne de respect et méritant une éducation qui tient compte de ses besoins et de sa sensibilité. Une telle éducation supposait la capacité de le former, motiver, discipliner par des moyens pédagogiques aptes à le responsabiliser en douceur et surtout par l’exemple. Administrer de la ritaline à un enfant signifie que l’on ne parvient pas à influer sur lui par le dialogue, la communication et le soutien et que l’on opte pour des moyens chimiques.
Des enfants sont classés comme gravement perturbés et souffrant de troubles de comportement pour des agissements souvent banals qui en d’autres temps faisaient naturellement partie de la vie des collectivités scolaires.
Ainsi, si de la gifle à la ritaline, le chemin a été long , en terme d’humanité et de savoir-faire pédagogique, nous sommes de retour à la case départ.
Judit Varadi