Marie-Madeleine, la Passion révélée
A une heure de Genève, Bourg-en-Bresse offre avec le monastère de Brou, l’une des plus belles expériences architecturales, historiques et spirituelles qui soit.
Cet ensemble du 16e siècle réunit une église monumentale et lumineuse qui recèle des trésors artistiques, trois cloîtres gothiques, un musée de peintures et de sculptures, et propose également une passionnante exposition sur Marie Madeleine qui ira ensuite à Carcassonne et Douai.
Construit à la suite d’un vœu non accompli de sa belle-mère Marguerite de Bourbon, Marguerite d’Autriche (1480-1530) ne verra jamais l’oeuvre qu’elle a fait réaliser. La vie de cette reine (dont la devise « le destin accable durement » dit tout) résume l’extraordinaire complexité de l’histoire européenne de l’époque, car à travers ses différents mariages et alliances stratégiques, apparaît toute une géographie qui englobe la Bourgogne, la Savoie, les Pays-Bas, l’Espagne, l’Autriche et la France. L’Europe avant la lettre.
Marguerite est un mécène et une habile politicienne. Elle sait s’entourer d’artistes, et le monastère de Brou en est une preuve éclatante. Elle souhaitait s’y retirer (on pourra bientôt visiter ses appartements), mais la mort l’emporta avant, et elle fut inhumée dans le chœur à côté de son troisième époux Philibert le Beau et de Marguerite de Bourbon.
Ces tombeaux, véritables dentelles de pierre, sont des chefs d’œuvre du gothique flamboyant. On admirera encore le splendide jubé, les stalles, les vitraux, les retables de marbre, autant de témoignages de la transition entre le Moyen Age et la Renaissance, et exécutés par des artistes flamands, allemands, français ou italiens, ce qui fait de Brou un exemple extraordinaire des échanges culturels dans cette Europe du début du 16e siècle.
L’exposition, « Marie Madeleine, la Passion révélée », dévoile toute l’ambiguïté et la richesse thématique de cette sainte qui est multiple. En effet, elle fusionne trois femmes : la pécheresse qui essuie les pieds du Christ avec ses cheveux en répandant des parfums ; Marie de Béthanie, sœur de Lazarre (que Jésus ressuscitera), et qui fait le même geste ; et Marie de Magdala, témoin de la Résurrection du Christ (le fameux épisode du « Noli me tangere ») et de sa Passion (on la voit étreindre la croix). Il faut encore ajouter Marie l’Égyptienne, prostituée repentie. La sainte est par ailleurs bien présente dans le monastère lui-même jusqu’au gisant de Marguerite d’Autriche (illustration nº 1).
Cette richesse thématique se reflète dans une diversité créatrice peu commune (même le « Da Vinci Code s’en est emparée !). Georges de la Tour a immortalisé Marie Madeleine dans ses tableaux où la flamme d’une bougie éclaire le visage de la sainte une main posée sur un crâne (le peintre a inspiré celui dont on verra une copie).
Difficile de décrire la centaine d’œuvres exposées. Simon Vouet, Guido Reni (illustration nº 2), Claudio Coello, Philippe de Champaigne, Jordaens ou Dürer figurent parmi les plus connus. Mais il faut ajouter les peintures, sculptures et enluminures du Moyen Age et, plus près de nous, Rodin, Maurice Denis, Gustave Doré, ou Émile Bernard qui ont réinterprété la légende.
Courtisane, myrrophore (porteuse du parfum de myrrhe), pénitente en prière, en extase ou étreignant la Croix, recouverte de ses cheveux comme une toison (illustration nº 3), compagne privilégiée du Christ (certains en ont même fait sa compagne tout court), Marie Madeleine aura permis aux artistes de chaque époque de peindre le corps souvent dénudé et les cheveux épars d’une femme, explorant également tous les ressorts psychologiques qu’offrent les doutes, les pleurs, la contemplation de celle qui est devenue une légende et une source inépuisable d’inspiration.
Jean-Michel Wissmer
Illustrations :
1. Gisant inférieur de Marguerite d’Autriche, église de Brou ©Denis Vidalie
2. Guido Reni, Sainte Madeleine en prière, Musée des Beaux-Arts de Quimper
3. Ulm, Souabe, Marie Madeleine élevée au ciel par les anges, Aix-la-Chapelle, Suermondt-Ludwig-Museum, photo Anne Gold
Monastère Royal de Brou, Bourg-en-Bresse (jusqu’au 5 février)
Musée des Beaux-Arts de Carcassonne (24 février-24 mai)
Musée de la Chartreuse, Douai (17 juin-24 septembre)