Yémen et les enfants

2 January 2019

Au lendemain de l’attaque qui a frappé jeudi 9 août, un bus sur un marché dans le nord du Yémen, et qui a causé la mort de plusieurs dizaines de personnes, (dont au moins 29 enfants âgés de moins de 15 ans, et fait 48 blessés, dont 30 enfants,) le Conseil de sécurité s’est réuni, -à la demande de la Suède, du Pérou, de la Bolivie, la Pologne et de la Hollande. Les 5 membres permanents du Conseil se sont contentés de déplorer. Un porte-parole du CICR basé à Sanaa, a déclaré que le bilan n’est pas définitif, les victimes ayant été transportées dans des hôpitaux différents. Le Secrétaire général de l’Onu, Antonio Guterres a demandé une enquête « indépendante. » Et transparente ?
Le conflit au Yémen, qui a débuté en mars 2015, oppose les rebelles Houthis soutenus par l’Iran chiite, à la coalition menée par l’Arabie Saoudite. Il est, aux dires de tous les humanitaires présents sur le terrain, l’un des plus sanglants. A ce jour, on dénombre plus de 10,000 morts et 53,000 blessés. Parmi les victimes, un nombre impressionnant d’enfants. Selon Bismarck Swangin, le chef de la communication pour l’UNICEF au Yémen, 2,398 enfants ont été tués, 3,652 mutilés et 2,633 recrutés de force dans des groupes armés. Ces chiffres recueillis en juin 2018 sont ceux qui ont pu être vérifiés, précise-t-il. Sous-entendu, ils sont probablement plus élevés. Pour les 11 millions d’enfants, le Yémen est devenu synonyme d’enfer. L’eau potable, la nourriture et l’accès aux soins médicaux sont inexistants. (1,8 million d’enfants souffrent de malnutrition.)
Sur la côte ouest du Yémen, à 250 kilomètres de la capitale Sanaa, 300 000 enfants vivent dans la ville d’Hodeïda, où les forces armées s’affrontent. Les bombardements sont devenus le quotidien de la population. C’est par cette cité portuaire que transitent les convois d’aide humanitaire -70% des denrées importées au Yémen arrivent par Hodeïda. Plus de la moitié des installations sanitaires sont inutilisables en raison de l’absence de personnel ou par manque de moyens financiers. 8,6 millions d’enfants n’ont pas accès à l’eau potable ce qui augmente les risques d’épidémies. Par ailleurs, beaucoup d’enfants ne naissent pas à l’hôpital, et ne peuvent, par conséquent, pas recourir aux soins prodigués par des professionnels de santé. Leur vie est en danger avant même la naissance.
Pour l’Onu « c’est la pire crise humanitaire depuis la seconde guerre mondiale. » Humanitaire et sanitaire. Selon le Comité International de la Croix-Rouge, huit millions de personnes sont au bord de la famine ; deux millions de personnes sont déplacés et un million d’autres atteintes par une épidémie de choléra –dont un tiers d’enfants. D’après un nouveau rapport du Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (Ocha), plus de 22 millions de Yéménites ont aujourd’hui besoin d’assistance, soit les deux tiers de la population, une augmentation de 1,5 million de personnes au cours des six derniers mois.
“Le monde a-t-il vraiment besoin de voir davantage d’enfants innocents tués pour arrêter la guerre cruelle au Yémen?", a réagi le directeur du Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef) pour le Moyen-Orient, Geert Cappelaere. « La poursuite du conflit, les attaques répétées et les restrictions d’accès dues à l’insécurité et à la violence entravent notre capacité à atteindre les plus démunis, notamment les 11 millions d’enfants qui ont besoin d’une aide humanitaire. M. Cappelaere rappelle que “les parents doivent faire le choix difficile d’envoyer leurs enfants mendier, travailler au lieu d’aller à l’école et qu’ils doivent faire le choix difficile de marier leurs filles à un âge précoce pour avoir une bouche de moins à nourrir.” Aujourd’hui au Yémen, 75% des filles sont mariées avant l’âge de 18ans, et la moitié avant l’âge de 15 ans. Près de 2 millions de garçons et de filles ne vont pas à l’école ou n’ont jamais eu la possibilité de le faire.
."Combien d’enfants encore souffriront ou mourront avant que ceux qui peuvent agir, mettent un terme à ce fléau? Les trois années de guerre ont fait doubler la malnutrition aiguë sévère chez les enfants, ce qui fait du Yémen l’un des trois pays avec le plus grand nombre d’enfants souffrant de malnutrition dans le monde, a précisé M. Cappelaere

Au début de l’année 2018, on recensait la mort d’un enfant toutes les dix minutes. Ces chiffres, pour dramatiques qu’ils sont, ne sont pas parvenus jusqu’à présent à faire bouger la Communauté Internationale. Les évènements de ces derniers jours finiront-ils par avoir raison de son inaction ?

Célhia de Lavarène
Septembre 2018