Corruption à l’ONU
Si l’on en croit de nombreux fonctionnaires des Nations Unies, il y aurait une véritable culture de la corruption, à la fois sur les missions de maintien de la paix et au sein de la vénérable maison de verre. Sur les missions, où les manquements à l’éthique sont légions, la corruption -gaspillage et vol- serait essentiellement due à une totale absence de contrôle. Au Secrétariat, la corruption serait due en revanche au népotisme qui se pratique à grande échelle, au copinage qui favorise la reconduction des contrats existants sans vérification préalable ainsi que le recrutement de proches, voire des amis de proches. « La corruption, c’est le terrain de jeu des hauts fonctionnaires,” ricane un onusien de longue date.
Sur les missions de maintien de la paix, le gaspillage et le vol sont monnaie courante. La revente sur les marchés de denrées de première nécessité destinées aux populations déplacées ou aux réfugiées, -par les personnes chargées de les distribuer-, le trafic de fuel, mis en place par des casques bleus désireux de se faire un peu d’argent de poche, ne choquent plus personne. Il y a quelque temps, les révélations concernant la vente d’équipements militaires par des casques bleus, ont bien soulevé des questions sans toutefois faire trop de vagues. Les réponses sont invariablement les mêmes : « nous prenons très au sérieux ces allégations, et nous avons demandé à OIOS de mener une enquête. Nous ne pouvons faire de commentaires tant que l’enquête n’est pas terminée ! »
Curieusement, lorsque de telles allégations surgissent, l’ONU réagit comme si rien de tel ne s’était jamais passé auparavant. Pourtant, les exemples sont légions. Ainsi en 2004 au Liberia, quelques uns des gros 4x4 blancs destinés à la mission étaient réceptionnés par des casques bleus sur le port de Monrovia, puis chargés sur des cargos à destination de pays africains. En Somalie, dans les années 90, 3,9 millions de dollars ont disparus d’une boîte à chaussures. Apparemment, l’enquête se poursuit.
Comment l’ONU et plus particulièrement le département de l’appui aux opérations de maintien de la paix (DFS) choisissent-ils les entreprises qui vont se partager le « pactole » que représentent les contrats ? Normalement, des appels d’offre sont lancés par DFS qui attribue des budgets aux entreprises locales et internationales sélectionnées. Certaines d’entre elles sont automatiquement reconduites et ce, en dépit de retards de livraison, de stocks insuffisants, parfois même d’irrégularités commises par ces entreprises qui, pour la plupart, sont déployées dans les pays ou les missions sont établies, voire dans les pays voisins. Dans la plupart des cas, le personnel de ces sociétés se livre à toutes sortes de trafics, telle la revente, au marché noir, de containers entiers de nourriture avariée dont l’ONU ne veut pas car non conforme. S’il existe des procédures de contrôles, elles sont limitées. L’ONU affirme ne pas pouvoir vérifier que la société ne renvoie pas les containers de nourriture avariée sur une autre mission. « Nous avons l’exemple d’une mission qui avait refusé des containers dont la date de péremption avait été largement dépassée. Ces derniers ont été « refourgués » deux ou trois jours plus tard, à l’OTAN, en Afghanistan et Pakistan. Vous voyez bien que dans ce contexte, les sacs de riz revendus sur les marchés peuvent fort bien provenir d’un sous-traitant de DPKO, pas nécessairement de nos casques bleus,» explique un ancien de DFS pour se dédouaner. Possible, mais si c’est le cas, pourquoi l’ONU s’obstine-t-elle à renouveler le contrat de cette compagnie ?
La culture du copinage fait d’autan plus de ravages qu’elle se pratique au plus haut niveau. Ceux qui la pratique s’arrogent le droit, sans passer par les circuits normaux, d’engager leurs amis voire des amis d’amis, à des postes sans qu’ils aient le niveau requis. Prenons le cas d’UMOJA, un système de gestion informatique censé améliorer les capacités de l’ONU. Il est devenu le plus grand scandale financier que l’ONU a jamais connu. Au départ pourtant, Umoja -qui signifie unité en swahili, devait permettre à l’organisation de simplifier les procédures de dossiers et de communications au sein de ses innombrables départements et organismes. « Il y avait une énorme opportunité à saisir puisqu’il s’agissait de transformer le Secrétariat en mettant en place système plus harmonisé et de donner à l’Organisation une capacité d’évoluer au cours des décennies à venir, » explique un expert.
Or, depuis sa création en 2007, le programme s’est révélé tellement dysfonctionnel qu’il a entravé les aptitudes de l’organisation à prévenir les conflits et à mettre en oeuvre toute une série de sanctions internationales. Mais c’est surtout devenu un gouffre financier. Le budget de départ, approuvé par l’Assemblée générale en 2008 était de 300 millions de dollars. En 2016, il devait dépasser le milliard de dollars. « Quand ils nous ont présenté le budget, ils se sont bien gardés de nous donner le budget réel et d’ailleurs personne ne l’a demandé, » explique un expert onusien qui a été forcé de démissionner après avoir dénoncé les invraisemblances du programme.
La première partie du projet Umoja, initialement prévue pour être déployée en 2012. Selon un expert : « De manière réaliste, le déploiement total pourrait être envisagé après 2020.
Les Etats membres ont-ils un droit de regard sur leur argent ? « Nous recevons un rapport d’estimation de la mission qui est ensuite analysé par une commission de vérification. Si l’argent est mal utilisé, nous donnons moins d’argent l’année suivante, » explique une diplomate occidentale. Des propos contredits par un représentant français auprès de l’ONU maintenant à la retraite: « Il n’y a aucun contrôle, » affirme-t-il.
Celhia de Lavarene
Avril 2017

