CRISE MONDIALE ET AFRIQUE

19 novembre 2008
CRISE MONDIALE ET AFRIQUE

Malgr ? les nombreux d ?mentis et les divers propos r ?-assurants publi ?s au d ?but de la crise, et visant ? la limiter aux seules institutions financi ?res, ? pr ?voir sa fin dans les plus brefs d ?lais gr ?ce aux mesures financi ?res spectaculaires prises pour la juguler, la cruelle r ?alit ? a vite oblig ? les dirigeants des plus grandes puissances de la plan ?te et les responsables des plus grandes banques centrales ? changer de discours et ? reconna ?tre qu’il s’agit d’une grave crise. Et tout le monde de s’accorder que le syst ?me en vigueur doit ?tre red ?fini. Quel syst ?me : mon ?taire ? ?conomique ? politique ? .

Analyse de la crise, vue d’Afrique

Dans le quotidien officiel du gouvernement camerounais, St ?phane Ngwanza, g ?ostrat ?ge et enseignant camerounais, affirme qu’il s’agit d’une crise du syst ?me qui repose sur trois piliers.

« Premi ?rement, ?crit-il, il s’agit de l’entr ?e en crise structurelle de ce que l’ ?conomiste fran ?ais Fran ?ois Chesnais a appel ? le ? nouveau r ?gime d’accumulation financi ?re ?. Celui-ci s’est b ?ti sur l’hypertrophie de la sph ?re financi ?re dans un environnement ultra-lib ?ral (le ‘tout march ?’) et d ?r ?gul ? par les plus hautes autorit ?s des Etats les plus puissants...

« Deuxi ?mement, on assiste ? une crise des fondements de la ? r ?volution n ?o-conservatrice ?d ?ploy ?e ? partir des ann ?es 1970 et r ?pandue dans la d ?cennie 1980/1990... Pour les n ?o-conservateurs, il fallait profond ?ment refonder l’Etat, la soci ?t ?, l’ ?conomie et les territoires avec un Etat all ?g ?, une ?conomie et une soci ?t ? de plus en plus financiaris ?es, une soci ?t ? riche mais duale, in ?gale et polaris ?e... Au plan socio- ?conomique, la r ?volution n ?o-conservatrice se traduit par le fait que les ? de la richesse nouvelle cr ??e aux Etats-Unis entre 2002 et 2006 sont accapar ?es par seulement 1% des Am ?ricains les plus riches ; en 2008, 10% de la population concentre 50% de la richesse nationale...

« C’est enfin la crise plus g ?n ?rale de l’imperium g ?opolitique et g ?ostrat ?gique am ?ricain. Au niveau international, les n ?oconservateurs d ?veloppent une repr ?sentation du monde ? la fois isolationniste et interventionniste enracin ?e dans une conception providentialiste de l’Histoire, celle de la “ destin ?e manifeste ”. Cette vision se traduit par le rejet de l’ONU..., le refus de toute alliance contraignante..., l’affirmation du droit ? la “ guerre pr ?ventive”contre tout ennemi assimil ? au “Mal”, enfin le r ?ve de protection absolue ? l’abri d’un bouclier anti-missile ... »

Le syst ?me en crise et l’Afrique

Bien que les r ?actions officielles et informelles des Africains ? la crise n’aient pas ?t ? aussi bruyantes et collectivement d ?sesp ?r ?es et pessimistes que dans les pays d ?velopp ?s, il n’en reste pas moins que l’observation premi ?re qu’il faut faire, est que le syst ?me en crise est fondamentalement hostile ? l’Afrique. Il a caus ? des grabuges immenses sur ce continent.

Il a r ?duit le pouvoir et les avoirs des Etats ; cantonn ? leurs efforts dans le domaine ?conomique au respect absolu des canons de la division internationale du travail qui emp ?che le d ?veloppement d’un secteur industriel endog ?ne orient ? vers la satisfaction d’un march ? int ?rieur de plus de 800 millions de consommateurs. Avec des programmes dits d’ajustement structurel et de bonne gouvernance, ce syst ?me a d ?capit ? les classes moyennes africaines et bloqu ? l’ ?mergence d’un capitalisme original continental comp ?titif.

Les populations des pays africains ont, dans leur grand nombre, ?t ? plong ?es dans des conditions insupportables de grande pauvret ? qui les privent de structures ad ?quates de sant ?, d’ ?ducation et d’utilit ? sociales.

Des politiques dites d’aide au d ?veloppement et de lutte contre la pauvret ?, ont favoris ? une culture de la d ?pendance pr ?judiciable ? la cr ?ativit ? productive et autonome du savoir africain, et ? la g ?n ?rosit ? solidaire des contribuables des pays industrialis ?s.

Plus concr ?tement et plus directement, certains analystes consid ?rent qu’ « au niveau de la croissance ?conomique, l’impact de la crise est actuellement estim ?e en termes de perte de croissance entre 0.5 et 1 % du Pib. Au niveau des syst ?mes bancaires, l’impact ne peut provenir que des banques qui ont des avoirs dans certaines banques am ?ricaines et europ ?ennes touch ?es par la crise. L’impact sera tr ?s n ?gatif sur les exportations africaines notamment des pays p ?troliers avec la chute des prix et des volumes…Par ailleurs les flux d’aide…, les flux des capitaux (investissements ?trangers, cr ?dits bancaires et envois des fonds des travailleurs africains) peuvent ?galement conna ?tre un ralentissement . »

Sans qu’il soit besoin de r ?sumer ou de classer les r ?actions africaines ? la crise, force est de constater que les analystes africains de la crise proposent deux types de conclusions.

Les conclusions id ?ologiques et pratiques imm ?diates.

« Pr ?s de 20 ann ?es seulement apr ?s la chute du Communisme dans son berceau qu’ ?tait l’ex Union Sovi ?tique, ?crit Dr Ekollo Moundi Alexandre, le lib ?ralisme pur et dur vient de rendre l’ ?me dans son premier lieu saint qu’est Wall Street ».C’est partant de cette constatation globale que cet ?conomiste camerounais tire ses premi ?res conclusions imm ?diates.

Apr ?s avoir rappel ? l’historique de la crise y compris en la situant dans le contexte de l’ ?lection pr ?sidentielle nord am ?ricaine et en soulignant la d ?cision du gouvernement camerounais de voler au secours des institutions financi ?res de son pays, il poursuit : « L’essentiel r ?side dans le fait que le Pr ?sident Georges W BUSH, venait en r ?alit ? de signer ‘le certificat de genre de mort’ du lib ?ralisme et qu’il demandait en fait au Congr ?s, ? travers le d ?blocage de cette somme astronomique de 700 milliards de dollars de signer son ‘certificat de d ?c ?s’ et de proc ?der ? son inhumation en toute discr ?tion. Il en informa le monde entier en quelques mots et avec un embarras certain lors de son discours devant l’Assembl ?e g ?n ?rale des Nations Unies... Les patrons de la Banque Mondiale et du FMI ?taient aux premi ?res loges et comprirent imm ?diatement que l’ ?vangile qu’ils pr ?chent dans les pays pauvres le b ?ton ? la main n’a plus de sens. »

Cette conclusion figure dans la quasi-totalit ? des prises de position africaines. Et beaucoup r ?clament que les entreprises d’Etats qui avaient ?t ? privatis ?es soient d ?sormais re-nationalis ?es.

Les solutions cr ?dibles et durables

Comme d’habitude, les responsables publics et priv ?s des pays industrialis ?s mobilisent des moyens m ?diatiques g ?ants pour occuper et monopoliser les espaces r ?serv ?s aux d ?bats partout dans le monde.

Parmi les questions que d’aucuns se posent, figure celle de savoir si les solutions propos ?es par certains grands en vue de r ?soudre les probl ?mes imm ?diats de leurs seuls pays, ne vont pas ?tre impos ?s ? tous les pays de la plan ?te comme ?tant les seules solutions de la crise ?

Dans sa lettre d’invitation au Panel Interactif sur la crise financi ?re globale tenu ? New York le 30 octobre, le Pr ?sident de l’Assembl ?e G ?n ?rale des Nations Unies, s’est fait l’ ?cho de cette pr ?occupation en ?crivant qu’il :« ... a bien accueilli les initiatives et les d ?clarations des principaux dirigeants des pays industrialis ?s et des pays en d ?veloppement qui expriment leur inqui ?tude concernant la situation actuelle et demandent que des actions soient prises en toute urgence. Au fur et ? mesure que des pressions sont faites en faveur du changement, la conception de la nouvelle architecture doit imp ?rativement ?tre inclusive et d ?mocratique pour ?tre cr ?dible et durable. »

Les opinions exprim ?es au cours de cette rencontre internationale aussi bien par les panelistes que par les membres de l’auditoire, confirment que la crise actuelle remet en cause les fondements des syst ?mes politiques, ?conomiques, sociaux et environnementaux du monde actuel. Elle ne saurait ?tre r ?gl ?e ? la sauvette en ne tenant compte que des int ?r ?ts de la haute finance et des pays industrialis ?s.

Beaucoup pensent que c’est l’occasion ou jamais pour les repr ?sentants authentiques et qualifi ?s de tous les peuples d’exprimer eux-m ?mes leurs soucis et leurs recommandations afin qu’ ?merge un syst ?me nouveau de gouvernance mondiale multipolaire, ?quitablement repr ?sentatif de tous les pays pour servir les int ?r ?ts de la paix et de la justice pour tous.

La vieille division internationale du travail a fait son temps. Il faut commencer par l ?.

Une chance pour l’Afrique ?

Les Pr ?sident de la Commission de l’Union africaine et les ministres africains des finances ont exprim ? ? Tunis leur col ?re au sujet de l’exclusion du continent aux n ?gociations du G 20 ? Washington. Cette exclusion risque de se poursuivre.

Que faire ?
Au terme de leur dernier Sommet tenu fin juin 2008 ? Sharm el Sheikh en Egypte, les Chefs d’Etats et de gouvernement de l’Union africaine ont r ?solu de consacrer une journ ?e sp ?cifique de leur prochaine r ?union pr ?vue ? Addis Abeba en janvier 2009, ? l’examen du projet de Gouvernement d’union continentale en vue de l’ ?dification des Etats-Unis d’Afrique.

Afin que sa voix soit entendue et respect ?e au cours des n ?gociations qui vont ?tre men ?es en vue de la conception et de la mise en place d’un nouveau syst ?me international de gouvernance de la plan ?te, il importe que l’Afrique s’y pr ?sente en force. Cette force est et sera dans son unit ? politique.

De nombreux penseurs et acteurs politiques africains sugg ?rent que, dans la situation actuelle de crise grave, cette unit ? se r ?alise dans la constitution d’un Gouvernement provisoire des Etats-Unis d’Afrique qui aura pour mandats, d’une part, de repr ?senter le continent africain dans ces n ?gociations ; et d’autre part, d’accompagner les gouvernements du Nigeria, de la Lybie et du Cameroun ? la mise en place, comme convenu, de la Banque centrale africaine, de la Banque africaine d’investissements et du Fonds mon ?taire africain. Ce faisant, les dirigeants africains prendront une initiative qu’ils ma ?trisent.

Se pr ?senter en rangs dispers ?s aux prochaines n ?gociations internationales, ce sera ouvrir les portes du continent ? sa troisi ?me colonisation. Une colonisation tr ?s terrible.

Jean-Martin TCHAPTCHET

Ecrivain et conseiller en coop ?ration internationale

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