Minarets mal-aimés, symboles de nos peurs mal-avouées
Au nom de la défense de la démocratie et des libertés individuelles, nous assistons à des dérives qui vont à l’encontre des impératifs sécuritaires. Ainsi, des mesures qui permettraient de renforcer la sécurité de nos sociétés ne sont pas prises au nom du respect des libertés individuelles. D’autre part nous violons nos propres lois et constitutions pour combattre des revendications qui ne représentent pas de réelles menaces sécuritaires.
Ce paradoxe de nos sociétés relève d’un profond manque de cohérence et de nombreuses contradictions internes. Par respect des valeurs phares de nos sociétés telles que la liberté d’expression, la liberté de mouvement, la protection de la sphère privée, nous éprouvons des grandes difficultés à adopter des positions fermes et cohérentes face à des agissements et revendications qui représentent des menaces réelles pour nos démocraties et en même temps nous violons nos propres lois et allons à l’encontre de notre propre constitution en ouvrant un débat tel que celui qui a enflammé la société suisse récemment autour de la construction des minarets.
Le débat sur l’interdiction de la construction de minarets en Suisse n’aurait pas dû avoir lieu, car il s’agit d’une initiative discriminatoire qui ne rentre pas dans le cadre de la légalité et qui viole le principe de la liberté de culte.
Les partisans de l’interdiction de la construction des minarets ont adopté cette position pour des raisons purement émotionnelles.
S’il s’agissait de l’édification d’un temple bouddhiste, la question ne se serait certainement pas posée et n’aurait pas suscité des débats passionnels.
Dans la mesure où l’argumentaire de cette initiative se nourrit de la crainte d’une "islamisation rampante" et des préoccupations d’ordre sécuritaire, il n’ est pas seulement faux mais également dangereux.
La communauté musulmane est dans son ensemble, bien intégrée en Suisse. Dès lors, défendre l’initiative anti-minarets équivaut à punir tout citoyen suisse de confession musulmane par crainte d’agissements dangereux d’une minorité d’éléments extrémistes qui pourrait représenter réellement une menace pour la sécurité de la Suisse.
En faisant des amalgames entre les termes "islamiste" et " musulman" et créant des associations d’idées négatives avec tout ce qui se réfère à l’islam, pensant affaiblir ainsi les islamistes, on ne fait que porter de l’eau au moulin des organisations terroristes qui s’efforcent précisément à faire croire aux populations musulmanes que l’occident combat non pas les activistes islamistes mais toute personne de confession musulmane.
L’objectif de l’amalgame est d’induire que quelque chose ou quelqu’un est dangereux. Ainsi, les termes "musulman", "islam", "islamisme" sont souvent utilisés de manière imprécise, voire erronée et le fort pouvoir émotionnel que ces mots suscitent provoque souvent des réactions immédiates chez les interlocuteurs, écarte la réflexion rationnelle et fait obstacle à toute possibilité de dialogue.
Il est important de rappeler que le conflit global auquel nous assistons aujourd’hui oppose moins le monde occidental au monde musulman, première victime du fondamentalisme islamique, qu’il n’oppose les éléments modérés, tolérants et pacifiques, qu’ils soient séculiers ou religieux à ceux qui instrumentalisent et déforment le Coran et l’Islam à des fins politiques.
Un des arguments récurrents des opposants à la construction des minarets se réfère à la réciprocité : dans la mesure où les pays musulmans n’acceptent pas l’édification de lieux de culte d’une autre religion sur leur territoire, la Suisse ne devrait pas accepter la construction de lieux de culte musulmans. Cet argument ne prend pas en considération le fait qu’il s’agit de régimes non démocratiques d’une part et de régimes démocratiques d’autre part et il serait souhaitable, si évolution il y a, que ce soient les régimes autoritaires qui évoluent dans le sens de sociétés de liberté et non pas l’inverse.
D’autre part les arguments avancés en faveur du rejet de l’initiative ne le sont pas toujours pour des justes raisons. Les partisans défendant le droit à l’édification des minarets par peur des réactions que l’interdiction pourrait provoquer et par peur de compromettre la paix religieuse, n’ont pas choisi leur camp pour les justes raisons. Une telle approche, fondée sur la crainte d’éventuelles réactions négatives de la part des musulmans, place les tenants de cet argumentaire en position de faiblesse, de vulnérabilité et de peur. Leur position devrait être basée sur l’assurance, le sens de la justice, l’intelligence et le respect. Cela signifie de s’engager à défendre les droits de ses citoyens, de tous ses citoyens tout en étant intransigeant sur les devoirs qui incombe à chacun
d’entre eux.
Andrea Varadi