Que d’injustices au nom de la justice !
En imposant des modèles et structures à visées égalitaristes ayant pour objectif de garantir l’égalité des chances, l’école est souvent piégée par ses propres principes de justice sociale et d’humanisme. Optant pour une pédagogie uniformisante, l’école cherche à assurer le principe d’équité par l’égalité des traitements.
Les réalités de la vie scolaire montrent que l’exigence d’égalité ne peut pas être atteinte en proposant le même programme et le même encadrement à tous les enfants, mais en permettant à chaque enfant de développer son potentiel de manière optimale et harmonieuse.
Pour cela l’école devrait prévoir des structures souples et choisir des enseignants désireux et capables de mettre en place des cours adaptables et personnalisés, permettant de tenir compte des aptitudes et situation de chaque enfant.
A cela on répond habituellement que dans une classe il y a une vingtaine d’enfants et il n’est pas possible de connaître les particularités et besoins de chacun, ni surtout d’adapter les cours à ces particularités et besoins individuels.
Or, chaque enfant a besoin de pouvoir évoluer à son rythme et d’ être encouragé à progresser de son mieux sans être enfermé derrière des barrières de jugements, sans être isolé par des regards réprobateurs et cantonné par des remarques dubitatives dans des catégories préétablies d’élèves en retard ou en avance, trop curieux ou pas assez motivés, pas assez scolaires ou trop atypique. Cela suppose des enseignements élaborés sur mesure et des évaluations constructives qui n’enferment pas l’élève dans une position qui lui sera attribuée comme un fait immuable.
La situation des enfants surdoués – le mot est en train de devenir tabou, on préfère parler d’enfants " HP ", à haut potentiel intellectuel - est un exemple des graves injustices commises au nom de la justice.
Les enfants surdoués, s’ils sont plus perméables à la connaissance, plus curieux et rapides que leurs camarades de même âge, sont par ailleurs des enfants comme les autres : ils ont besoin de stimulation, d’encouragement, de confiance, de reconnaissance. Or ils sont très souvent privés de toute attitude bienveillante de la part de leurs maîtres(ses) et camarades, qui, mal à l’aise face à leur soif de savoir et leur grande facilité d’apprentissage, adoptent fréquemment des attitudes hostiles à leur égard.
Leurs parents sont souvent accusés de vouloir les pousser vers l’excellence par recherche de satisfaction égotique et ne sont pas pris au sérieux lorsqu’ils se plaignent des réelles souffrances de leurs enfants.
Ainsi, des parents désespérés témoignent fréquemment des expériences douloureuses de leurs enfants qui n’auraient pourtant pas besoin d’avantage pour être heureux à l’école que de quelques exercices supplémentaires pendant que leurs camarades travaillent sur des sujets qu’ ils ont déjà terminés et d’un regard bienveillant qui reconnaîtrait et encouragerait leurs volonté et capacité d’apprendre.
Il est difficile à croire que cela ne soit pas fait spontanément, par simple bon sens et la seule explication plausible est que les enseignants sont conditionnés tout au long de leur formation à pratiquer une pédagogie uniformisante et peu ou pas formés à s’adapter aux particularités des élèves.
Ainsi, une vision mécanique et simplificatrice de la justice conduit à des pratiques pédagogiques rigides et appauvrissantes qui font de l’école pour beaucoup d’enfants un lieu triste et ennuyeux.
Ignorant que les comportements des enfants sont des réactions aux modèles et attitudes environnants, on enferme l’enfant dans des catégories rigides voire immuables lui attribuant des qualités et des défauts, en le déclarant hyperactif, dyslexique, agitée, ayant des troubles de la concentration, manquant de discipline ou ayant des problèmes psychologiques.
En réalité, chacun d’entre nous a d’innombrables possibilités de comportement et de performance entre le meilleur et le pire, entre le maximum et le minimum, entre des attitudes constructives et destructives. C’est en fonction des circonstances qui nous entourent, les individus qui nous stimulent ou découragent que nous adopterons certains attitudes et comportements plutôt que d’autres.
UNE SOCIETE QUI EXIGE BEAUCOUP ET DONNE PEU
A l’instar de la société, l’école donne peu et exige beaucoup. Examens, contrôles, évaluations, devoirs se suivent en rangs serrés dans le quotidien des écoliers tandis que l’enseignement proprement dit, la véritable transmission des connaissances et la stimulation de la volonté d’apprendre prennent de moins en moins de place dans le temps scolaire. La robotisation des approches pour gérer les relations humaines envahit progressivement l’école comme toutes les autres sphères de la vie sociale.
Réapprendre aux enseignants le désir et la capacité de découvrir chaque élève tel qu’il est et d’entrer en dialogue franc et respectueux avec lui, serait la clé d’une école où le principe d’égalité ne serait plus une exigence démagogique mais une pratique quotidienne dictée par le bon sens, la souplesse et le courage d’innover.
JUDIT VARADI