Jean Ziegler - la haine de l’Occident

3 February 2009

Jean Ziegler, la Haine de l’Occident, Sylvain Th?voz, sociologie,

Dans un monde o?, contrairement ? une id?ologie qui le souhaite globalis? et ouvert aux quatre vents, les sectarismes, les mouvements nationalistes et id?ologistes d?fensifs fleurissent, il est un homme qui, disposant d’une vue large a non seulement acc?s aux deux c?t?s des barricades, mais surtout parvient ? les penser et les d?crire dans un m?me mouvement. Jean Ziegler, passeur, est un homme libre dont la parole origine d’une pratique de terrain. Il s’adresse ? tous, mais plus particuli?rement aux puissants, qui trop souvent s’enferment dans leurs certitudes et leurs pr?jug?s, refusant d’entendre les cris des plus pauvres. Ni id?ologue ni proph?te, mais simple t?moin, il nous fait part, dans son dernier livre, de ce qu’il a vu et entendu durant des ann?es aux quatre coins de la plan?te. Il r?alise la d?coction d’une fleur v?n?neuse fleurissant aux quatre coins de la plan?te : la haine de l’occident. Il en d?terre aussi la racine, qui en exhale l’empoisonnante senteur : la souffrance infinie des populations opprim?es.

Qu’est-ce que la haine, th?me ?-priori central du livre de Ziegler qui le porte en titre ? La haine est « une vive hostilit? qui porte ? souhaiter ou ? faire du mal ? quelqu’un ». Pourtant, si Ziegler prend la peine de donner l’?tymologie du terme Occident (occidere, du latin tomber) en r?f?rence ? la chute quotidienne de l’astre solaire derri?re la ligne d’horizon, il ne d?finit pas la haine. Peut-?tre parce qu’elle n’est que la face visible d’un mal plus profond. C’est finalement la question du mal que pose Ziegler, de l’injustice, de son scandale et de l’inacceptable complicit? des puissants ? sa continuelle propagation.

Le mal, condition de d?-cr?ation (Simone Weil), corrompt ? la fois l’oppresseur et l’opprim?, la victime et son bourreau. Cela ne veut pas dire que l’un et l’autre doivent y ?tre confondus, puisque l’un l’exerce et l’autre le subit. Pourtant, tous deux y sont soumis et se trouvent bless?s par son impr?gnation. Si, pour le voyageur install? sur les pieds d’un autre, la n?cessit? de d?noncer les conditions d’un voyage peut sembler inutile, pour celui qui en souffre, elle s’impose. Ziegler, faisant appel ? l’histoire, r?v?le la longue transhumance de la civilisation Occidentale dont les cadavres et les crimes par milliers jalonnent l’?conomie funeste. Cette civilisation, si elle s’est appuy?e sur le Christianisme et les Lumi?res pour cro?tre a aussi jailli du crime et de l’oppression. Tant que cette vision totale n’aura pas ?t? r?tablie, et gu?rie, comment le cancer qu’elle porte pourra ?tre soign? et ne pas contaminer d’autres peuples ?

Dans la lign?e de grands intellectuels pensant le fait colonial (Frantz Fanon, Aim? C?saire, Homi K. Bhabha, Achille Mbemb?), Ziegler d?nonce l’amn?sie r?voltante des m?moires occidentales o? l’infantile peur d’?tre pris en faute le dispute ? la tentation de nier ses m?faits. Aujourd’hui pourtant les peuples sont sortis de leurs ?tats de choc et hurlent. Ziegler est un amplificateur de cette parole ?mancip?e qui s’affirme. Elle r?clame des comptes et l’Occident se doit de les solder. Non pas en snobant les demandes mais en les accueillant, afin de les honorer.

Alors, pourquoi cette m?moire bless?e n’est–elle pas recueillie, se voit-elle opposer une fin de non-recevoir par certains, alors que d’autres creusent encore plus profond le sillon sanglant de l’humiliation et de la domination (discours de Nicolas Sarkozy ? Dakar en 2007) ? Ziegler en donne une explication simple : le pouvoir ?conomique et dominateur des puissants n?cessite le maintien des opprim?s dans leur r?le historique. L’int?r?t des plus forts r?clame un appareil id?ologique assimilable dont l’imposition passe par une d?r?gulation des march?s. Parfois aussi, ce sont les conflits d’int?r?ts des pays et des grands groupes occidentaux qui s’exportent. Ainsi, le colon s’est recycl? sous la forme du trader, et le patron de colonie sous les traits du technocrate. Sous la plume de Ziegler on assiste au d?masquage du syst?me des n?o-colonies. Rien n’a chang?, et la loi de l’entropie semble s’appliquer au domaine de l’?thique et de la morale. Le mal para?t vainqueur et le chaos irr?versible. La haine se propage. L’app?t du gain emp?che une reconnaissance saine des responsabilit?s de chacun.

N?anmoins, l’utopie du sociologue Genevois de construire une soci?t? plan?taire r?concili?e introduit une nouvelle variable : le dialogue, seul capable de nettoyer les habitants de cette plan?te de la haine qui les ronge. Haine de soi, haine de l’autre, dont la volatile teneur donne en partie raison ? l’analyse d’Hannah Arendt. Si elle voit dans le mal une banalit? et une propagation de surface comparable ? celle d’un champignon, Ziegler lui ajoute des racines tenaces, celles du m?pris et du d?ni. Les jardiniers du monde ont refus? d’extraire les mauvaises herbes. Il les ont m?me arros?es ? foison. Maintenant, elles carottent le sol, menacent les r?coltes futures. La bonne foi, la sinc?rit? du sujet parlant est vitale, et Ziegler constate ici le grand ?cart de l’Occident entre ses principes universels (d?mocratie, droits de l’homme) et la d?fense de ses int?r?ts particuliers. Pourtant, des r?alisations majeures, comme l’accession au pouvoir d’Evo Morales en Bolivie, ou la voix libre de Wole Soyinka, permettent de continuer d’esp?rer et de lutter.

Ziegler tire la sonnette d’alarme. Le chiendent est haut, la haine raisonn?e a son pendant radical : la haine pathologique, qui propulse des avions dans les tours. Si l’ivraie n’est pas arrach?e aujourd’hui, si la graine de vie et d’esp?rance est ?touff?e, demain il sera trop tard. D’ailleurs, il est d?j? trop tard. Cinq enfants de moins de dix ans meurent toutes les 7 secondes sur terre, principalement ? cause de la faim ou de maladies qui y sont directement li?es.

Le dialogue, le r?tablissement d’un ordre ?quitable pour tous, la gu?rison des m?moires bless?e et le droit ? l’alimentation sont l’unique alternative pour briser les cycles de la haine transmissible de g?n?ration en g?n?ration. Du succ?s de cette entreprise d’?cologie de l’esprit d?pend la survie de l’esp?ce humaine. Ziegler nous rappelle ? l’ordre, celui d’une conscience responsable et engag?e pour un monde plus juste et viable.

Sylvain Th?voz

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